1. Quels sports au Moyen Âge et dans l'Ancien Régime ?

Après la nuit des invasions et les tumultes de l'époque féodale, le monde occidental retrouve peu à peu son entité. Cette régénération politique et religieuse qui aboutit à la renaissance des XIe-XIIe siècles s'accompagne dans le royaume de France d'une débauche d'activité sportive, longtemps ignorée par les historiens.

Paradoxalement, c'est l'Église, celle-là même qui avait interdit les Jeux olympiques, qui va permettre l'essor des exercices sportifs les plus violents, les joutes, en leur donnant une base idéologique.

1.1   Jeux et sports au Moyen Âge

1.1.1   Quel sport au Moyen Âge ?

Comment expliquer que les jeux et les sports ont été si peu favorisés par la recherche historique, en particulier au Moyen Âge et à l'époque moderne ?

  • Ce désintérêt tient d'abord au sujet : on distingue mal en effet ce qui distingue le jeu, le divertissement de l'exercice physique. Le terme de sport lui-même est polysémique. Les historiens du sport contemporain réserve souvent exclusivement l'emploi de cette appellation aux pratiques nées au XIXe siècle, les séparant radicalement des jeux traditionnels.(Jeu et jeux)
  • Ces jeux ont eu également auprès des historiens la réputation d'activités frivoles, et par conséquent sans intérêt.
  • Enfin, il était délicat de distinguer l'exercice physique de l'entraînement militaire. Mais le sport n'est-il pas fondamentalement une transposition pacifique des combats meurtriers (cf. La Grèce ancienne et Rome et son Empire) ?

Ces différents facteurs peuvent expliquer le «vide historique» des jeux dans le passé. Toutefois, depuis l'après guerre et le développement d'une civilisation des loisirs, les jeux et sports médiévaux et modernes sont sortis de l'ombre pour devenir objet d'histoire. Ce renouveau est lié à notre propre expérience, celle de l'importance des jeux et des divertissements au sein de notre société.


Jeu et jeux

Les sources et traces des jeux et sports traditionnels


On distingue mal entraînement militaire et exercices physiques au Moyen âge ; sans doute un aspect permanent du sport. Chrétien de Troyes n'a-t-il pas emprunté son sujet à la Grèce antique ?

Des exercices des anciens, il nous reste les vestiges toujours admirés des stades et des amphithéâtres. Au Moyen Âge et à l'époque moderne, on ne construit plus d'équipements ludiques et sportifs de cette ampleur.

Le Moyen Âge et l'époque moderne sont en effet caractérisées par une activité ludique extrêmement diversifiée, mais on ne trouve plus d'activité sportive unificatrice, comme les Jeux olympiques grecs ou les Jeux romains.

A l'image de la société féodale puis de la société d'ordre, il y a autant de jeux que de royaumes, autant de pratiques sportives que de classes sociales. Si on organise une activité fusionnel, le spectacle de la joute, les fêtes sportives sur la place d'un village, la fusion s'arrête à l'espace du village , du bourg ou du château. Pourquoi construire un gigantesque amphithéâtre pour une fête locale ou pour un tournoi, organisé dans une seigneurie ou réunissant les seules membres de la cour de France ?

Nos sources sont donc essentiellement des sources littéraires, judiciaires et iconographiques.

Pour les jeux d'exercices physiques, les codifications sont variées et en cours d'élaboration au Moyen Âge et à la Renaissance. L'existence de diverses règles induit la possibilité de transgresser ces mêmes règles. Si on connaît les jeux par les auteurs médiévaux, on connaît donc surtout les règlements et décisions de justice (lettres de rémission). La société médiévale et d'Ancien Régime était aussi une société de pouvoir : pouvoir politique et pouvoir religieux, qui ont influencés les pratiques sportives et ludiques. On connaît donc les jeux par la répression et le contrôle des jeux. Les pratiques sportives doivent être interprétées à la lumière de tous ces paramètres pour être comprises. Les pratiques sportives sont au centre de toute civilisation, celle du Moyen Âge, de la Renaissance, comme de la nôtre.

1.1.2. Les voyages d'un mot , le «sport»

Les exercices physiques sont une création française

Contrairement à ce que l'on croit généralement, le sport, ou, plutôt, les exercices physiques médiévaux ne viennent pas d'outre Manche. C'est du moins l'interprétation classique de J.-J. Jusserand (Les sports et jeux d'exercices dans l'ancienne France, 1986). Pour dire «faire de l'exercice», on employait l'expression «prendre de l'esbat» ou «s'exerciter», comme en témoigne cette invitation poétique à l'entraînement d'Eustache Deschamps (v. 1346-v. 1406) :

«Exercitez-vous au matin Si l'air est clair et entérin (pur) Et soient vos mouvements trempés (exécutés avec mesure) Par les champs, en bois et es prés Et si le temps n'est pas de saison Prenez l'esbat en vos maisons.»
(D'un notable enseignement pour continuer santé en corps d'homme)

"Exercitez-vous au matin si l'air est clair et enterin..."

Le vocable sport vient aussi de France

Le mot sport lui-même n'est nullement un emprunt fait à nos voisins anglais ; le vocable leur venait de France : il s'agissait de notre ancien «desport», «desporter».

Les Anglais utilisèrent d'abord ce mot tel qu'ils l'avaient importé par l'intermédiaire des Normands. Leur grand poète du XIVe siècle, Chaucer (1340-1400), dans Tale of Melibeus, parle ainsi d'un jeune homme qui allait «pour son desport jouer aux champs».

Au XVIe siècle, Rabelais employait aussi notre vieux vocable dans son sens sportif :

«Se desportaient es prés et jouaient à la balle, à la paume, à la pile trigone, galamment s'exerçant les corps comme ils avaient les âmes précédemment exercé»
(Gargantua, chap. XXIII).

Le terme s'appliquait ainsi, dans les deux pays, à toute forme d'amusement, jeux de paroles comme jeux d'exercices physiques. La France montrait tellement l'exemple, que les Anglais employaient parfois pour désigner l'activité physique et ludique, un mot français, non pas «desport», mais «ébattements».

Le sport majeur au Moyen Âge est la guerre. Conscient de la fragilité de l'existence, l'homme médiéval joue et s'entraîne pour se défendre.

1.2. La guerre et l'esprit chevaleresque

1.2.1. «Le grand point, au temps passé, n'était pas d'être savant mais d'être fort»(J.-J. Jusserand, Les sports et jeux d'exercices dans l'ancienne France, 1986)

Au Moyen Âge, dans notre pays, les jeux physiques connurent une grande faveur. Il était nécessaire, nous dit Jusserand, d'être prêt à défendre sa vie. On mourait jeune et on s'attachait moins à l'existence qu'aujourd'hui.


Le sport chez un théologien

On la risquait donc pour le plaisir. Dans les tournois, le véritable enjeu était la vie. De là de nombreux décrets des rois et des papes interdisant les joutes en raison des morts inutiles que ces affrontements provoquaient.

«On faisait ainsi du sport sans le savoir»(J.-J. Jusserand); les jeux ressemblaient à la guerre et la guerre ressemblait aux jeux :

  • l'escrime à la lance, le tournois étaient pratiqués à une large échelle par les nobles, pour se préparer à la guerre.
  • Chez les citadins et les paysans, le tir permettait de gagner un prix, célébré en chansons et honoré en rasades, mais c'était aussi un moyen de devenir habile et de défendre le village.

On parle souvent de la législation ecclésiastique contre les jeux et des discours tenus par les moralistes et les théologiens s'élevant contre les affrontements mortels des luttes, des joutes et des jeux de balle. (Le sport chez un théologien)

Mais le phénomène le plus étonnant est la caution que l'Église a apporté aux exercices guerriers pratiqués par la noblesse en forgeant l'idéal chevaleresque.

1.2.2. La naissance de l'idéal chevaleresque

Durant le haut Moyen Âge et l'époque féodale, le pouvoir séculier contrôlait le pouvoir spirituel. A partir du XIe siècle, l'Église chercha à gagner son autonomie, puis intégra les laïcs à la réforme spirituelle en cours et aux croisades.

C'est dans ce contexte que naît l'idéal de la chevalerie. Après un long temps de formation comme page puis écuyer, l'apprenti chevalier était adoubé lors d'une cérémonie religieuse d'intronisation. Il recevait après la messe et le festin une épée bénie par le parrain. Il devait alors prêté un serment spécifiant qu'il devait vivre conformément à la loi de l'Église et à l'honneur de la chevalerie : protéger les faibles, les veuves, les orphelins ; servir les bonnes causes, poursuivre les malfaiteurs ; aider son prochain, ne pas trahir, ne pas tuer un homme sans défense. Mais la principale vertu du chevalier restait «la vaillance», c'est-à-dire la vertu guerrière.

On voit ainsi comment l'Église a christianisé de vieux usages profanes, en pérénisant et en cautionnant la spécialisation des chevaliers dans le combat.

Fossoyeur du sport antique, c'est paradoxalement le christianisme qui va inventer le sport moderne. Le développement de l'esprit chevaleresque s'appuyait sur des vertus que lui fixait l'Église ; celle-ci avait anéanti l'athlétisme antique ; elle fit surgir un autre type d'activité physique qui lui échappa bientôt.


L'adoubement comme la cérémonie du sacre (ci-dessus) est un rituel religieux : on retrouve le même symbolisme dans les gestes

1.3. Des jeux pour une société d'ordre

La société médiévale était une société d'ordre : la société était composé de trois classes caractérisées par des fonctions déterminées : les travailleurs, les hommes de prière et les guerriers. Cette partition correspond aussi aux trois ordres de l'Ancien Régime : le tiers état, la noblesse et les ministres de Dieu.

Ces ordres se sont appropriés les différentes activités de la société et, parmi elles, les activités physiques. En effet, parmi les jeux physiques :

  • certains appartiennent à la noblesse : les tournois, les joutes, la chasse.
  • d'autres sont plus des pratiques populaires : la soule.
  • Quelques-uns semblent communs aux deux ordres : la lutte ou la quintaine.
  • Enfin, tout le monde jouait à la paume y compris les ecclésiastiques !

L'épreuve de la charrette

L'épreuve de l'épée

La rencontre de Guenièvre
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