Le sport chez un théologien

Contrairement à certaines idées reçues, les médiévaux et, en particulier, les ecclésiastiques n'étaient pas ignorants de la vie sportive dan l'Antiquité. Dans un article éclairant du colloque Jeux, sports et divertissements au Moyen âge et à l'âge classique (Chambéry, 1993), M. Lemoine a montré l'originalité de la pensée d'un d'entre eux : Hugues de Saint-Victor, chanoine du XIIe siècle.
On sait que le cadre pédagogique du Moyen Âge et de l'Ancien régime était hérité de l'Antiquité romaine et reposait sur les sept arts libéraux : ils comprenaient trois «enseignements littéraires» (grammaire, logique, rhétorique) et quatre «enseignements scientifiques» (arithmétique, géométrie, asronomie, musique). On constate que les savoirs manuels étaient exclus de ce cycle d'enseignement.
Or, Dans son Didascalicon, Hugues proposa sa propre division du savoir humain. Sans remettre en cause les sept arts libéraux, il leur ajoute quatre sciences : la théorique, la pratique, la physique et la mécanique. Cette dernière science concernait les oeuvres des hommes et elle était divisée en sept arts : les trois premiers correspondaient aux exigences extérieurs de l'homme (fabrication de la laine, armement, navigation) et les quatre autres à ses besoins internes (agriculture, chasse, médecine et théâtrique). Là est la grande innovation de Hugues : les arts mécaniques, comme les arts libéraux permettaient d'accéder à la sagesse.
L'énumération de ces activités peut paraître éloignée de notre propre vision des activités sportifs. En ce qui concerne la pratique des armes, Hugues ne s'intéresse pas à son côté belliqueux. Mais il admire le fait que l'homme ait su se forger des outils capables de le protéger et d'assurer sa survie. Il en est de même de la chasse, de la pêche, de la navigation.

Quant à la théâtrique, il s'agit pour Hugues de la science de tous les types de jeux, sportifs et scéniques, c'est-à-dire les jeux :

  • des théâtres, où une action est racontée en vers, au moyen de personnages, de masques, de décors ;
  • mais aussi des portiques, où on conduisait un choeur et où l'on dansait ;
  • du gymnase, où l'on pratiquait la lutte ;
  • de l'amphithéâtre, où l'on pratiquait la course à pied, à cheval ou en char ;
  • des arènes, où les pugilistes s'exerçaient.
  • des banquets où l'on faisait de la musique et où l'on jouait aux dés ;
  • des sanctuaires, où l'on chantait de louanges aux dieux.
«Les jeux étaient comptés au nombre des activités légitimes parce que la chaleur naturelle du corps se nourrit d'un mouvement bien équilibré et que la joie restaure l'esprit ; autre raison plus vraisemblable : puisque pourtant le peuple devait se rassembler de temps en temps pour jouer, les anciens voulurent qu'il y ait pour cela des endroits déterminés, afin d'éviter que les gens ne se réunissent dans des endroits douteux pour y accomplir des actes condamnables, voire criminels»(Didascalicon, II, 27, cité par M. Lemoine, op. cit.)
Mais, pour Hugues, le jeu comme le laisse entendre le terme de théâtrique, qui vient du verbe contempler en grec, le jeu est d'abord et avant tout un spectacle, dont la «joie restaure l'esprit». Le sport du théologien est un sport que l'on regarde plus qu'un sport qu'on pratique.
M. Lemoine rapproche néanmoins ce traité du Gargantua de Rabelais, montrant que du Moyen Âge à la Renaissance il y a une certaine continuité : certains ecclésiastiques avaient déjà justifier l'éducation physique, à côté de la formation spirituelle et intellectuelle. (cf. L'éducation de Gargantua)

Cf. Michel Lemoine, «Le sport chez Hugues de Saint-Victor» et de leurs conséquences à la fin du XIVe siècle», dans Jeux, sports et divertissements au Moyen âge et à l'âge classique, Chambéry, éditions du CTHS, 1993, pp. 131-140.

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