La tauromachie : le plus ancien spectacle de l'arène

De tous les spectacles, la tauromachie est sans doute un des plus anciens. On peut le tenir pour une tradition essentiellement méditéranéenne.

La tauromachie dans l'Antiquité

Dix-huit siècles avant J.-C., elle se manifeste en Crète. Les fresques des palais de Cnossos et de Phaïstos notamment offrent de magnifiques représentations d'adolescents qui font des acrobaties, sautant et faisant mille tours sur le dos d'un taureau sauvage. Ces vestiges témoignent ainsi de la place de choix que ces jeux tenaient dans la civilisation minoenne.

Une tauromachie plus évoluée, où prend place le cavalier, s'instaure en Grèce comme en Asie Mineure. Aux fêtes d'Éleusis, des jeunes gens affrontent des taureaux. Á Caryanda, une inscription précise que l'organisation des spectacles est dévolue au pauraphétès, riche citoyen appelé à fournir un nombre réglementaire de bêtes.

Pline l'Ancien, dans son Histoire naturelle, attribue plus particulièrement aux habitants de la Thessalie l'invention des combats que, selon lui, Jules César introduit à Rome sous sa dictature. Suétone nous apprend que l'exemple fut ensuite suivi par les empereurs Claude et Néron. Les taurarii, ou bestiaires specialisés dans ce genre de luttes, font figure d'ancêtres de toreros modernes.

Les légendes comme celle du minotaure, la fascination exercée par le taureau sur de nombreuses religions primitives (culte d'Hercule, de Mithra, mazdéisme...) et les cérémonies rituelles, où elles le faisaient entrer, ont vraisemblablement contribué à l'éveil de la tradition. Toutefois, au delà de toute emprise mythologique, celle-ci ne cesse de s'affirmer comme un exercice de maîtrise et d'adresse auquel incite le tempérament d'animaux vivant à l'état de nature. Ainsi il a suffi que leur race se conserve dans l'extrémité sud-occidentale de l'Europe, pour que la coutume tauromachique y connaisse une continuité et un développement dont le XXtextsuperscripte siècle est encore le témoin.

De la course landaise à la corrida

En France même, la survie de troupeaux sauvages dans le delta de la Camargue et, jusqu'à la reforestation de Napoléon III, dans les marais des Landes, entretient chez les populations provençales et gasconnes un goût sans doute hérité de l'occupation romaine. Une des manifestations les plus anciennement connues est la «course de boeufs et de vaches délivrés par les bouchers» ; ceux-ci, avant d'abattre les animaux, les lâchent par les rues des villes et des bourgs, généralement à la demande du public, et le premier venu peut affronter l'animal. Ces habitudes étaient tellement entrées dans les moeurs régionales qu'elles ont triomphé de l'opposition des autorités royales et religieuses. La course de vache dite «landaise», concours d'écarts et de sauts arbitré par un jury, affirme son droit à l'existence, quelques années avant la Révolution française.
Dans la péninsule Ibérique, un concours de circonstances accentue encore le phénomène et lui assure une progression suivie. L'influence sur les moeurs populaires de la longue présence romaine y a sa part, tout comme l'existence tardive de terres incultes qui se prêtent particulièrement au maintien et à la reproduction des troupeaux sauvages. Le facteur décisif est cependant le choix que fait la chevalerie espagnole du jeu du taureau pour compléter son entraînement militaire.

L'objectif est alors de dérober son cheval aux charges furieuses du taureau, avant de l'attaquer et de le tuer à la lance. L'évolution de l'art de la guerre amena le déclin de la coutume : la lance est remplacée par un *rejon, ou manche de bois blanc orné d'une courte lame d'acier, et le combat tourne à une séance d'équitation où n'entrent plus que les vrais amateurs. Dès 1726, Francisco Romero enseigne en public la façon de tuer élégamment les taureaux à pied, avec pour toutes armes une large épée et un morceau d'étoffe de couleur, la *muleta. L'effet populaire est considérable, car l'artifice enlève à la mise à mort son caractère instantané et rend la scène moins brutale. Les matadors contemporain de la génération de Goya s'emploient alors à compléter cette scène principale par toute une chorégraphie qui donne à l'ensemble l'ordonnancement du spectacle.

La corrida naît au XVIIItextsuperscripte siècle et depuis n'a cessé de se développer en faisant une place sans cesse plus large au talent de l'homme, avec ses héros (Lagartijo, Fuentes, Belmonte, Manolete...), ses règles, un vocabulaire spécifique (*montera, *plaza de toros, *picadors, *banderilles, *aficion, *ganadaro, *novillero). En se codifiant, ce spectacle s'est étendu dans l'espace gagnant l'Amérique latine au XXtextsuperscripte siècle : à Mexico on éleva la plus grande plaza du monde, avec une capacité de 50 000 spectateurs. De nombreux artistes se sont intéressés à ce spectacle : des écrivains (Hemingway, Montherlant, Cocteau, Michel Leiris), des peintres (Picasso), les compositeurs (Bizet, Carmen).

Un spectacle original

Pour le néophyte, c'est sans doute l'attitude du public de la corrida qui l'étonnera le plus. L'essor du football a peut-être affecté la vitalité du spectacle. Mais pas autant qu'on pourrait le croire, car, en dépit de son ouverture à un vaste public, la corrida requiert toujours une frange importante de connaisseurs fidèles, qui ne se forment pas aussi vite que les spectateurs des matches sportifs. Mais la corrida se déroule dans la violence et dans le sang (celui du taureau, des chevaux des banderilleros, ou du torero), d'où un rejet compréhensible d'une partie importante de la population qui n'a pas baigné dans l'univers de la corrida.

En tout cas, de tous les spectacles de l'arène et du stade, c'est sans doute un des plus intenses : l'oeil du spectateur n'est pas attiré par plusieurs manoeuvres simultanées, comme c'est le cas pour un match sportif ; seule la lutte de l'homme face à l'animal capte son attention. Cette distinction justifie l'usage d'une arène ronde et non elliptique pour la corrida.
Cf. «La tauromachie», dans Histoire des spectacles, La Pléiade, 1965.



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