4. L'amphithéâtre et le cirque, miroirs de la société romaine

Les différents spectacles romains ne se sont pas toujours donné dans un édifice spécialement conçu pour leur bon déroulement. On s'est souvent contenté dans le passé d'un site naturel judicieusement choisi, complété de quelques installations rudimentaires en bois. Et, dans l'Antiquité, ces terrains de sport improvisés étaient utilisés comme terrain agricole en dehors du temps festif des ludi.

Par exemple lesmunera ont d'abord eu lieu dans des forums de Rome, puis dans des lieux de réunion qui n'étaient pas prévus à cet effet, avant de rejoindre l'amphithéâtre. Ceci explique pourquoi l'on n'a pas retrouvé de vestiges de cirque étrusque.

La conception de deux types de construction aussi spécifiques que le cirque et l'amphithéâtre ne doit rien au hasard : elle répond à un besoin fondamental de la société romaine à un moment précis.

4.1. Le cirque

Le cirque, comme on l'a vu précédemment, est l'aboutissement de la grande procession des ludi ; c'est là que le peuple romain trouva son unité. C'est que cet édifice était plus à leurs yeux que le seul lieu des courses de chars. Sous la plume des écrivains, sa forme parfaite revêtait même une valeur symbolique :

«le cirque est l'image du ciel...les douze loges représentent les douze mois et les douze constellations que traverse l'astre dans sa course. Les quatre coursiers évoquent les saisons, les quatre couleurs des factions les éléments» (Anthologie latine, I, 197. De Cicensibus).

4.1.1 Description

circus en latin signifie «ligne courbe fermée»

Le cirque est en effet un édifice en forme de rectangle très allongé dont un petit côté serait en demi-cercle. Les spectateurs peuvent s'asseoir sur des gradins sur tout le pourtour, à l'exception de l'autre petit côté qui est occupé par les stalles de départ. La présence de la barrière au milieu de la piste (la spina ou euripe), rendue célèbre par les peplums, est en fait tardive : celle du Grand Cirque date du Ier siècle de notre ère.

C'est essentiellement le lieu des courses de chars.

On peut le rapprocher par la forme de l'hippodrome grec.

Parmi les cirques de l'Empire, le Circus Maximus constitue un sommet. Cet édifice a d'ailleurs inspiré la très grande majorité des documents iconographiques, et en particulier des mosaïques.

4.1.2. Le Grand Cirque

Le Grand Cirque l'emporte sur tous les autres édifices par sa longévité (environ douze siècles d'existence), sa capacité (environ 150 000 spectateurs) et son caractère monumental.

Son emplacement, entre les deux collines de l'Aventin et du Palatin, a été dicté par des raisons d'ordre historique (la présence d'un autel souterrain dédié à Consus et le lieu des antiques Consualia) et pratique (une grande plaine, des pentes herbues). Les Étrusques avaient procédé au drainage des marais de la vallée.

Construit par les étrusques au début du VIe siècle avant J.-C., il trouve sa forme canonique à la fin du Ier siècle avant notre ère : il s'y déroulaient alors des course de chars, mais aussi des venationes, qui auront lieu ensuite dans le Colisée. Les travaux ont continué tout au long du Ier siècle de notre ère, car l'édifice fut à plusieurs reprises ravagé par l'eau et le feu et l'édifice acquiert sa forme quasi-définitive au IIe siècle : il est désormais entièrement construit en pierre.

C'est un bâtiment de très grande taille : une longueur de 620 mètres (trois stades et demi) pour ue largeur de 180 ; l'arène du Colisée rentrerait douze fois dans celle du Circus Maximus. Ses particularités morphologiques avaient un objectif fonctionnel.

  • Les spectateurs, qu'elle que soit leur place, devaient pouvoir suivre la totalité de la course dans les meilleures conditions possibles.
    • Ceci impliquait le tracé d'une arène longue et étroite, dont la largeur, à n'importe quel point donné, n'excédait pas ce qui était absolument nécessaire à la bonne évolution des chars.
    • On trouvait des places assises sur tout le périmètre de l'arène, à l'exception du côté où se trouvaient les stalles de départ. Toutefois les spectateurs du cirque n'étaient pas abrité de l'ombre contrairement à ceux du Colisée.
    • La piste, comme le révèlent des fouilles à Carthage et à Arles, était composée de plusieurs strates assez épaisses pour ne pas devenir inutilisable après chaque course de char.
    • La piste devait être régulièrement arrosée pour éviter les nuages de poussières susceptibles de gêner l'observation de la course.
  • La course devait offrir des chances égales pour tous les concurrents.
    • Ceci impliquait que la distance à parcourir du départ à l'arrivée soit égale pour tous les concurrents. Les Romains utilisaient un système perfectionné, inspiré sans doute des stades grecs. Les portes des douze stalles de départ ou carceres s'ouvraient simultanément, grâce à un mécanisme unique.
    • Les chars devaient rester dans leur couloir individuel pour éviter le carambolage général : c'est seulement lorsqu'ils avaient franchi la première ligne blanche qu'ils avaient le droit de se rabattre le long de la spina (barrière du milieu).
    • Le moment attendu était le passage du premier tournant de la course, au niveau de la deuxième borne.

Au dessus des carceres se trouvait la loge pour l'éditeur des jeux, qui jetait de là sa serviette. La spina ou euripe était décorée de monuments formant un ensemble hétéroclite : obélisques, tours crénelées, pavillons, et surtout des statues des dieux apportant une caution religieuse aux courses du cirque.

4.1.3. Les autres cirques du monde romain

Les courses de chars étaient prisées dans tout l'Empire comme le montre la présence de cirques autour du bassin méditerranéen, notamment : en Afrique (cirque d'Utique, de Cherchell, de Sétif, de Thysdrus, de Sousse et de Carthage, le plus grand du monde romain en dehors du Grand Cirque), en Espagne (Tarragone, Sagonte, Tolède, Calahorra et Mérida), en Gaule (Lyon, Vienne, Arles), en Orient (Antioche, Tyr, Alexandrie).

Mais curieusement on ne trouve quasiment pas de cirque en Italie durant la période républicaine et impériale ; Rome avait aspiré, semble-t-il, toutes les ressources financières et humaines de l'italie. Rome et ses environs ont en revanche connu plusieurs cirques : le Circus Flaminius, qui, d'après les fouilles, n'aurait perdu au fil du temps sa forme canonique, le cirque de Caligula (près du Vatican), le Trigarium, qui servait essentiellement à l'entraînement des chevaux.

4.2. L'amphithéâtre, dit aussi l'arène

Selon J.-C. Golvin «il n'est guère d'édifice public antique plus caractéristique de la civilisation romaine que l'amphithéâtre. Ce dernier est assurément une création originale et la réponse à un besoin fondamental de cette société, né du développement extraordinaire que connurent les munera et les venationes.»(«Origine, fonction et forme de l'amphithéâtre romain», Spectacula I -- Gladiateurs et amphithéâtres). En effet , alors que le cirque peut être rapproché de l'hippodrome grec, l'amphithéâtre n'a pas de précédent dans le monde hellénique. Il est spécifiquement romain.

4.2.1. Description

L'amphithéâtre se compose de deux parties essentielles : une arène centrale au coutour elliptique (la piste), et un bâtiment en forme d'anneau tout autour (la cavea), où se trouvent des gradins en pierre. On y accédaient par des escaliers et des couloirs faisant le tour de l'édifice. On confond parfois l'amphithéâtre et l'arène : l'arène n'était que la piste, la partie sablée de l'amphithéâtre. On a ensuite élargi son sens à la totalité de l'édifice.

C'est le lieu des spectacles de gladiateurs, de combats de fauves et parfois des spectacles nautiques (si on inonde la fosse).

4.2.2. Origine de sa forme

Si la forme du cirque correspond clairement à sa fonction, il n'est pas aussi facile d'expliquer la forme elliptique de l'amphithéâtre. Elle n'est certainement pas fortuite car les caractéristiques du premier amphithéâtre conçu en Campanie vers la fin du IIe siècle avant notre ère (les deux parties, l'arène et la cavea) n'ont pas changé jusqu'au début du IIIe siècle de notre ère.

Á partir du moment où les combats devinrent plus fréquents et plus importants, on dut trouver une réponse architecturale adéquate. On commença par réutiliser d'autres monuments tels que le forum et le cirque. Le fait de placer le combat sur la place publique (le forum) lui donnait un certain prestige car il se trouvait en un lieu très fréquenté, au coeur de la ville.

Pourquoi n'a-t-on pas conservé le quadrilatère du forum ou créé une arène circulaire, comme celles qui existent pour les corridas ?

J.-C. Golvin explique l'allongement de l'arène des combats par la volonté d'améliorer la perception visuelle des combats.

  • Les combattants devaient pouvoir se déplacer dans toutes les directions ; car, contrairement aux athlètes dans un stade ou aux chars dans un cirque, rien n'imposait une course dans une direction donnée.
  • Il fallait que l'attention des spectateurs se concentre sur plusieurs paires de combattants combattant simultanément dans l'arène, contrairement à la corrida où l'attention ne se porte que sur un seul affrontement, celui du torero et du taureau (dans ce cas un plan circulaire convient parfaitement).

C'est pourquoi les Romains ont amélioré la compréhension du combat en allongeant l'arène. La majorité des spectateurs qui se trouvait, à l'origine sur les palissades en bois des deux grands côtés du forum, puis de part et d'autre du grand axe de l'arène, voyaient ainsi clairement le spectacle.

L'amphithéâtre a donc reproduit les caractéristiques des constructions provisoires de bois qui l'avaient précédé. Mais seul l'amphithéâtre pouvait à la fois :

  • offrir un espace adapté aux munera et aux venationes
  • assurer à tous les spectateurs de bonnes conditions d'observation
  • et présenter le spectacle devant un nombreux public.

Si cet édifice n'a pas été plus grand (le cirque est beaucoup plus grand) c'est pour permettre aux spectateurs de voir le détail du combat. J.-C. Golvin montre que la distance qui ne fut jamais dépassée entre spectateurs et combattants correspondait à la limite d'accomodation de l'oeil humain, soit 60 mètres.

Cet impératif explique le nom d'origine du monument, «spectacula» : il s'agissait avant tout d'un lieu où l'on devait voir un spectacle. (les jeux au cinéma)


les jeux au cinéma

4.2.3. Les amphithéâtres du monde romain

L'amphithéâtre est creusé dans une colline, isolé dans une plaine, ou enfoncé dans le sol comme à Pompéi. Un des plus grands est le fameux Colisée (57 m de hauteur sur 527 mètres de circonférence), le plus petit est celui d'Alba intermelium (35 m sur 31 m).

Pour circuler dans l'amphithéâtre, le public emprunte les couloirs qui font le tour de l'arène (ambulacres) ou prennent les escaliers qui souvrent par de grandes portes ou vomitoires. Ces escaliers allaient du podium au rang des pauvres et divisaient la cavea en sections (cunei). Un velum , bâche fixée à des mats, abrite une partie des spectateurs. Les coulisses se trouvent sous l'arène, recouverte de sable, ou les gradins.

De nombreux amphithéâtres sont adossés au flanc d'une colline par souci d'économie comme à Pouzzoles, Paestum et Pompéi.

Les amphithéâtres les mieux conservés sont ceux de Pouzzoles, Capoue, Vérone, Arles, Nîmes, Cherchell, Tipasa et El Djem.


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